ROMAN – Avec L’Anomalie, paru chez Gallimard, Hervé Le Tellier est l’un des quatre finalistes du prix Goncourt, qui devrait être remis le 30 novembre prochain. Et s’il en devenait le lauréat ? Le scénario impeccable de son roman, les thèmes qu’il aborde (le clonage, le sens ou l’absurdité de nos vies, la mondialisation), son écriture à la fois littéraire et cinématographique lui donnent, entre autres, de bonnes raisons de décrocher le Graal.
Une intrigue digne des meilleures séries apocalyptiques
Publié dans la prestigieuse collection « Blanche » de chez Gallimard, L’Anomalie d’Hervé Le Tellier pourrait bien être le prochain Goncourt, et ce d’autant plus que son scénario impeccable semble le prédestiner à une adaptation sur les écrans. On y croise un architecte parisien, une avocate noire, un GI américain, un tueur à gages, un chanteur homosexuel… L’un à Paris, l’autre à Princeton (New Jersey) ou à Lagos (Niger)… Ce qui n’est pas sans rappeler l’intrigue des séries « Sense 8 », des films « Babel » ou « Cloud Atlas », et bien d’autres encore. Les trajectoires des personnages finissent par se croiser, en autant de vies minuscules. Qu’ont-ils en commun ? Tout au long de cette première partie, le suspense est à son comble et le lecteur tenu en haleine – presque jusqu’à en perdre le fil. L’auteur s’interroge d’ailleurs, « face caméra » : combien de personnages sommes-nous capables de suivre ? cinq ? six ? sept ? Ce sera onze.
Onze personnages en quête d’auteur : quand la littérature entre en scène
Quelle est donc cette fameuse anomalie qui réunit nos onze personnages ? En scénariste facétieux, Hervé Le Tellier dissémine ça et là quelques indices. On apprendra par exemple que L’Anomalie, en plus d’être ce qu’on ne dévoilera pas ici, est le titre du roman qu’écrit l’un des personnages du livre. Un bel exemple de mise en abyme. C’est d’ailleurs ce qui en fait un OLNI, un objet littéraire non sans intérêt. Outre les interventions du narrateur citées plus haut, un public de lecteurs avertis se régalera des références artistiques et plus spécifiquement littéraires. Sont convoqués et détournés ici Robert Musil (Victor Miesel), Italo Calvino (Si par une nuit d’hiver 243 voyageurs…), Mallarmé, et bien d’autres encore. Entre clins d’œil et citations plus ou moins directes, Hervé Le Tellier s’amuse avec son lecteur. Ce qui n’est pas sans rappeler les principes de l’OuLiPo, dont il est un membre éminent. À chacun d’apprécier ce qui se glisse subtilement dans la narration : jeux sur les nombres, réflexions amusées sur le langage lui-même (comment dit-on « crème anglaise » en anglais ?) et jusqu’au calligramme final.
De l’ironie avant toute chose
Le monde entier tient dans ce livre à haute teneur satirique. On y rencontre, entre autres, un salafiste, des statisticiens, et même le président des États-Unis… Des personnages issus de tous les horizons et auxquels on s’attache à la volée – le temps d’un Paris-New York. Ils n’ont guère plus d’épaisseur psychologique que les feuilles du livre qui les contiennent, ce sont des types. Ou des… programmes informatiques ? Nous qui nous croyons libres de nos choix et de nos actes, est-ce que nous ne serions pas, nous aussi, « programmés » ? Une question philosophique qui parcourt l’ensemble du roman. Un événement absolument irrationnel – « l’anomalie » – surgit dans un monde qui ressemble étrangement au nôtre, et vient interroger nos certitudes et nos réalités contemporaines. L’auteur porte un regard moqueur sur ce monde et ceux qui le gouvernent : scientifiques, personnalités médiatiques, politiques – rien ni personne n’échappe à son ironie. L’humour surgit à toutes les pages, une arme puissante, mais discrète – et qui saura peut-être s’attirer les faveurs des Académiciens.
Informations pratiques
L’Anomalie, Hervé Le Tellier, Gallimard/Blanche, 336 pages, juin 2020, 20 euros.
Article réalisé en partenariat avec la librairie Aux Vieux Livres de Chateaugiron
Chaque semaine, nous nous penchons sur un livre qui nous a marquées. Coup de cœur ou coup de griffe, les Petites Capitales donnent leur avis, parfaitement subjectif, sur l’actualité littéraire !
Laisser un commentaire