« Les gens ont une trouille bleue de la solitude. Même ceux qui seraient très bien tout seuls s’adjoignent une moitié qui les empêtre. Ma femme, mon homme, ma compagne, mon compagnon, le possessif est révélateur. Et la petite cellule se referme ! On appelle ça l’amour. »
L’Intimité, Alice Ferney
Dans l’intimité du couple et des corps
L’Intimité, c’est d’abord l’intimité de ce beau couple d’architectes, en route pour la maternité. Mais très vite, nous voilà auprès de la parturiente agitée par les contractions, les convulsions. Dans le récit de cet accouchement, la femme est mise à nue, haletante, déchirée ; le sang, et les larmes, vont couler.
L’Intimité, c’est aussi celle du couple, celles des corps qui s’attirent ou se repoussent, se donnent ou se refusent. Dans ce roman polyphonique défilent les couples de tous les possibles. Le père veuf, qui tourne le dos à son passé. La femme asexuelle, qui dénie toute forme de sexualité. Le père divorcé, qui n’a plus le temps de s’occuper de son fils. La femme seule qui veut un enfant à tout prix. L’homme et la femme âgés, que la vie a éloignés et l’habitude rapprochés.
Paradoxalement, de ces personnages qu’on découvre au tréfonds de leur être, on sait à peine l’apparence. Alice Ferney nous laisse quelques bribes de descriptions, mais ne s’encombre pas de portraits inutiles, elle circule au milieu des âmes. Alice Ferney est une prophétesse dont les yeux aveugles percoivent l’intériorité des êtres, leurs destinées profondes.
Au cœur des idées
L’Intimité, c’est enfin celle des idées, des pensées, des convictions les plus profondes – et parfois les plus surprenantes. Car peut-on jamais comprendre la douleur du deuil, les culpabilités dont il s’accompagne, les traces qu’il laisse dans la vie de ceux qui restent ? Peut-on comprendre le refus de se donner, sexuellement parlant, à celui qu’on aime d’amour ? La romancière apporte quelques éléments de réponse, mais laisse ses personnages libres, en proie à leurs joies et à leurs peines, humains.
La critique de mœurs est le fil rouge du roman. Des thèmes cruciaux sont abordés : la GPA, l’euthanasie, la médicalisation de la naissance et de la vie… La romancière analyse férocement les mouvements qui agitent notre société contemporaine, les dérives qui la guettent, l’illusion de toute-puissance technologique et cet individualisme forcené qui a pris le pas sur tout le reste. Elle montre quel est le véritable prix à payer de nos désirs individuels, qu’on brandit comme des droits.
Résolument, Alice Ferney se place du côté de la femme, des femmes, celles qui sont vulnérables et exploitées, celles qui se dévouent, celles dont on loue le ventre pour fabriquer des enfants de toutes pièces. Le roman est paru en août 2020, au cœur de la déferlante MeToo, mais ce n’est pas pour surfer sur une tendance.
La voix de l’autrice vibre au fil des pages, c’est ce qui fait la puissance et la force de ce pavé de 500 pages qui se lit d’une traite. Et c’est aussi, peut-être, le (minuscule) reproche qu’on pourrait lui faire ; les personnages se font prétexte, ils incarnent des idées avant tout.
Informations pratiques
L’Intimité, Alice Ferney, Actes Sud, 368 pages, août 2020, 22 €.
Article rédigé en partenariat avec la librairie Aux Vieux Livres de Chateaugiron
Chaque semaine, nous nous penchons sur un livre qui nous a marquées. Coup de cœur ou coup de griffe, les Petites Capitales donnent leur avis, parfaitement subjectif, sur l’actualité littéraire !
Catherine dit
Formidable cette rubrique ! Je sais maintenant où regarder quand je ne sais pas quoi lire !