ENQUÊTE – Dans ce livre de David Le Bailly, il est question de Rimbaud mais, une fois n’est pas coutume, pas un mot sur sa poésie, son génie, ses œuvres visionnaires. Ce livre ne récite pas l’alphabet selon Arthur, « A noir, E blanc, I rouge… », pas plus qu’il ne déclame « C’est un trou de verdure où chante une rivière ». Il ne commentera pas non plus pour la énième fois la lettre à Paul Demeny où le poète « se fait voyant par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens ». Non, rien de tout cela. Ici, il est question de Frédéric, le frère du poète – ah bon, Rimbaud avait un frère ?
Frédéric le mal-aimé
Âgé d’à peine un an de plus que son cadet, Frédéric a été soumis lui aussi dans l’enfance à la tyrannie maternelle ; les deux frères étaient complices. Ce frère aîné, devenu conducteur d’omnibus dans un bourg des Ardennes, s’est vu qualifié d’ « idiot » par Arthur dans ses lettres puis tour à tour exclu, renié, déshérité, lui et toute sa descendance. Et pour finir dépossédé des terres familiales comme des droits d’auteur – que percevront exclusivement sa sœur et son beau-frère, ceux-là mêmes qui ont bâti la légende d’Arthur après sa mort. C’est en cela que Frédéric le mal-aimé est un personnage qui nous touche et nous intrigue. Quelle tragédie familiale s’est donc nouée après le départ d’Arthur pour l’Abyssinie ? C’est ce que nous révèle page après page le journaliste David le Bailly, qui entraîne le lecteur au cœur d’une fascinante enquête.
Revisiter le mythe Rimbaud
L’histoire s’écrit, on l’aura compris, dans le hors-champ de la grande Histoire, dans les marges de l’histoire littéraire. Arthur Rimbaud, c’est ce bel adolescent au regard rêveur et insolent, qui brocarde les bourgeois parce qu’« On n’est pas sérieux quand on a dix-sept ans », mais c’est aussi « l’homme aux semelles de vent » qui a maltraité ses contemporains comme ses proches et qui, devenu adulte, a quitté le pays sans un regard en arrière et abandonné définitivement la poésie. Celui qui est devenu négociant, mercenaire ou trafiquant d’armes – au fond, seul lui importe le pécule amassé dans ses terres lointaines. Voilà pour les zones d’ombre de l’histoire, soigneusement dissimulées par Isabelle, cette sœur qui a effacé « l’autre Rimbaud » de toutes les photographies de famille. À la fois conteur et historien, Le Bailly rétablit Frédéric en couverture de l’ouvrage, silhouette découpée qui rejaillit en orange, attirant à lui la lumière, enfin.
L’écrivain qui murmurait à l’oreille de l’Histoire
Et c’est ce qui fait tout le sel de ce livre, où la parole documentée et engagée du journaliste se mêle à celle, plus personnelle et sensible, de l’écrivain. Retraçant le sombre destin de Frédéric et brossant le portrait plus sombre encore de la mère dragonne qu’était Vitalie Rimbaud, David Le Bailly se remémore et narre en filigrane sa propre histoire. Il rétablit des vérités, corrige, nuance, rectifie. Pour les besoins de son enquête, il a retracé une généalogie perdue, visité des archives et épluché des cimetières – ou le contraire. Il est allé jusqu’à retrouver une arrière-arrière-petite-nièce du grand poète. Et, ce faisant, il nous donne à voir les remous de l’histoire, et à entendre ses échos.
Informations pratiques
L’Autre Rimbaud, David Le Bailly, L’Iconoclaste, 304 pages, août 2020, 19 euros.
Article réalisé en partenariat avec la librairie Aux Vieux Livres de Chateaugiron
Chaque semaine, nous nous penchons sur un livre qui nous a marquées. Coup de cœur ou coup de griffe, les Petites Capitales donnent leur avis, parfaitement subjectif, sur l’actualité littéraire !
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